Les Lexilens d’Atol
Touchant environ 8% de la population mondiale, la dyslexie (ou trouble spécifique de la lecture) est le plus répandu des troubles cognitifs et affecte 80% de toutes les personnes identifiées comme ayant des troubles d’apprentissage. Exploitant une découverte scientifique récente, les lunettes intelligentes Lexilens d’Atol font le pari de faciliter la lecture et l’apprentissage des personnes atteintes de dyslexie. Décryptage d’un cas d’école en matière de chaîne d’innovation.
La dyslexie : un trouble durable de la lecture et de l’apprentissage
Reconnus par l’Organisation Mondiale de la Santé en 1991 comme troubles du développement des acquisitions scolaires et inscrits dans la loi française du 11 février 2005 comme handicap cognitif, les troubles spécifiques du langage et des apprentissages sont regroupés à travers le terme de troubles DYS. « DYS », car ils partagent ce même préfixe grec signifiant « difficulté, anomalie » : dyslexie, dyspraxie, dysphasie et certaines manifestations consécutives de ces troubles comme la dysorthographie, la dysgraphie ou encore la dyscalculie. Ces troubles sont dits spécifiques car les enfants concernés n’ont à l’origine ni déficience intellectuelle, ni troubles psychiatriques ou psychologiques notables.
Décrite pour la première fois en 1896 dans le British Medical Journal, la dyslexie est une « altération spécifique et significative de la lecture » selon la Fédération Française des DYS. Apparaissant dès le début de l’apprentissage de la lecture, la dyslexie se manifeste par une difficulté à maîtriser le stade alphabétique, ce moment où l’enfant établit les correspondances entre un son (phonème) et une lettre ou un groupe de lettres (graphème). S’ensuit logiquement une difficulté pour l’enfant à décoder à un rythme soutenu les mots et à les orthographier. On associe d’ailleurs presque systématiquement dyslexie et dysorthographie. Les conséquences de ce handicap cognitif peuvent être nombreuses en termes de difficultés de mémorisation, d’acquisition des automatismes de la langue et expression écrites, de coordination, d’analyse… Les efforts déployés par la personne dyslexique pour tenter de compenser ses difficultés jouent également sur sa fatigabilité et son attention.
Selon l’Inserm (Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale), ce trouble durable que connaît environ 8% de la population mondiale affecte trois fois plus les garçons que les filles et se retrouve davantage chez les gauchers. Trouble durable aussi parce que l’on estime que 74% des enfants de CE1 souffrant de troubles de lecture continuent à avoir des difficultés en 3ème. Parmi les autres incidences à terme de la dyslexie, on estime que 40% à 60% des personnes DYS connaissent des troubles psychologiques, notamment l’anxiété, la dépression et le déficit d’attention.
De la recherche fondamentale à l’élaboration d’une lampe « anti dys »
Parmi les troubles DYS, la dyslexie est de loin l’objet de recherche scientifique le plus prolifique. Longtemps associées à des facteurs psychologiques ou/et affectifs, les causes de ce trouble semblent s’orienter depuis plusieurs années vers d’autres pistes, en particulier la piste neurologique. C’est celle-ci qui a été suivie pendant près de 15 ans par Albert Le Floch et Guy Ropars, chercheurs en physique des lasers à l’Université de Rennes. Les résultats de leurs travaux ont été publiés en octobre 2017 dans la revue scientifique The Royal Society et ont été auréolés fin 2020 du prix Raymonde Destreicher, récompense de l’Académie Française de Médecine qui met en avant un travail relatif à la médecine des yeux.
Les deux physiciens se sont tout d’abord demandé si la lumière pouvait jouer un rôle dans les troubles de la lecture et de l’apprentissage. Leurs travaux vont progressivement les conduire à s’intéresser à un lien possible entre le fonctionnement des yeux, du cerveau et certaines formes de dyslexie. Leurs recherches les mènent alors à étudier de minuscules récepteurs de lumière nommés centroïdes de la tâche de Maxwell, nom du grand physicien britannique du 19ème siècle. Ces récepteurs se situent dans une zone de la rétine pas plus grande qu’un millimètre carré appelée fovéa où la vision des détails est la plus précise. La moitié des fibres qui relie l’œil au cerveau est concentrée dans cette zone.
En examinant les centroïdes, les chercheurs rennais ont découvert que leur forme était différente chez les personnes dyslexiques et pourrait expliquer en partie le trouble de la lecture. Ainsi, chez une personne ne souffrant pas de troubles, la forme de la tâche de Maxwell diffère d’un œil à l’autre : tandis qu’une tâche a une forme ronde, l’autre possède une forme imprécise, sorte de « patate diffuse » pour reprendre les termes d’Albert Le Floch. L’œil qui possède une forme ronde est dit primaire, dominant ou directeur. Lorsqu’un individu non dyslexique se retrouve face à la lettre « b » par exemple, l’œil directeur perçoit le « b » et l’œil secondaire perçoit son image miroir qui est le « d » (pareil pour la lettre « p » qui se transforme alors en « q ») mais l’œil directeur élimine l’image miroir et permet ainsi d’envoyer au cerveau le signal correct.
Chez les personnes dyslexiques, les récepteurs ont des formes identiques et ne possèdent donc pas d’œil dominant. C’est cette symétrie qui entraînerait une confusion dans le cerveau car faute de dominance d’un œil sur l’autre, le cerveau n’est pas capable de faire un choix. Ici, le « b » et son image miroir « d » se confondent. Constatant l’existence d’un délai d’envoi jusqu’au cerveau d’environ 10 millisecondes entre l’image primaire et l’image miroir, les deux chercheurs ont alors mis au point une lampe stroboscopique à LED permettant à une certaine fréquence et une certaine intensité d’effacer l’image miroir. Cette lampe permet en quelque sorte de créer un œil dominant fictif en trompant le cerveau.
De la découverte scientifique à l’élaboration des Lexilens
Michael Kodochian, fondateur de la startup bourguignonne Abeye incubée par Atol, s’intéresse alors de près aux travaux d’Albert Le Floch et Guy Ropars et se fixe comme objectif de mettre au point des lunettes se basant sur le principe de la lampe « anti dys » élaborée par les deux physiciens bretons. Déjà à l’origine des Atol Zen, lunettes intelligentes qui permettent de détecter les chutes et d’alerter automatiquement un proche ou les secours (à l’instar des Serenity d’Ellcie Healthy), Abeye s’est spécialisée dans la conception de lunettes intelligentes innovantes dans le domaine de la santé et du bien-être. Basée à Beaune, la startup lancée en 2018 s’inscrit dans le programme Transform’Atol 2016-2020, plan stratégique qui intègre plusieurs programmes d’investissement en recherche et développement de produits innovants mélangeant MedTech et Internet des Objets.
Se basant sur le même principe que la lampe conçue par les deux chercheurs rennais, les filtres actifs intégrés dans les verres et pilotés par de l’électronique embarquée dans les branches des Lexilens (initialement appelées Atol Dys) permettent ainsi d’enlever l’image miroir. Le dispositif est activable par une pression d’un bouton unique. Un paramétrage à l’aide de l’application dédiée sur smartphone (iOS ou Android) est requis à la première utilisation. Celui-ci demande moins de 10 minutes. Réglages des filtres, vitesse de scintillement, transparence des verres… Tous les paramètres personnalisés selon la physiologie de l’utilisateur sont ensuite sauvegardés dans les branches de la paire. Dispositif médical de classe 1, les Lexilens offrent également l’option d’intégrer des verres correcteurs à l’aide d’un clip.
Comme pour la conception des Atol Zen, Abeye s’est fixée comme objectif de produire un modèle intégrant des composants électroniques discrets afin de proposer des lunettes les moins discriminantes possibles pour l’enfant qui les porte. La fabrication est entièrement française, avec une partie électronique produite en Haute-Garonne et une partie monture élaborée en région parisienne. Pesant 35 grammes, la monture est entièrement imprimée en 3D en collaboration avec le spécialiste français Erpro grâce à une technologie développée par HP. « La fabrication des lunettes Lexilens imprimée en 3D est exceptionnelle puisque c’est le premier produit multi-composants imprimé avec une telle complexité d’assemblage. Pas moins de 9 composants ! » commente Nicolas Aubert, directeur de l’impression 3D pour HP France. La monture est proposée pour le moment dans un coloris et une forme uniques mais une plus grande variété d’offres est en cours
Lexilens d'Atol
Récompensées d’un Innovation Award au CES 2020, du trophée de l’Innovation LSA 2020 et d’un Silmo d’Or, les lunettes d’Atol semblent offrir des premiers résultats encourageants. Lors de tests menés en laboratoire, les Lexilens ont fonctionné sur 90% des personnes et lors des tests réalisés en magasin, le taux a atteint les 75% selon les chiffres avancés par Abeye. Éric Plat, le PDG d’Atol, témoigne également dans le Télégramme : «« Ma fille de 17 ans est dyslexique. Je sais les efforts qu’elle a dû déployer pour mettre en place, grâce à l’’orthophonie, des stratégies de contournement. Or, avec ces lunettes, elle passe de 60 à 100 mots lus par minute »
Il convient cependant d’attendre les résultats définitifs de l’étude clinique menée en double aveugle dont les résultats devraient être connus dans les prochains mois. En plus de pouvoir valider et recouper scientifiquement les résultats obtenus jusqu’ici, « le but de l’essai clinique est aussi de demander une prise en charge par les autorités, à terme. L’enjeu, c’est vraiment de faire des choses utiles. » précise Michael Kodochian. Il est possible d’essayer les Lexilens chez tous les opticiens Atol sur prise de rendez-vous. Actuellement proposées au prix de 399 euros, une version pour adulte est également disponible depuis peu pour 449 euros.
Écrit par Thomas Bernard