Les lunettes du futur (Partie 1) : la prochaine révolution ?
Les lunettes intelligentes pourraient-elles un jour changer la vie quotidienne du grand public ? Si les Google Glass ont tenté le pari dès 2012, Apple, Facebook, Amazon ou encore Snapchat s’attèlent à la tâche depuis quelques années et laissent déjà augurer une concurrence exacerbée sur un marché en devenir. Dans ce premier volet d’un grand dossier de prospection qui nous amènera à imaginer les lunettes intelligentes du futur, tentons d’abord de comprendre pourquoi les géants du numérique misent tous sur les lunettes !
Le projet avant-gardiste des Google Glass
Concevoir « des technologies dignes de la science-fiction visant à faire de la terre un monde meilleur » : telle est la devise ambitieuse du X (anciennement Google X Lab), le département de recherches le plus secret de Google. Fondé en 2010 et dirigé par Sergey Brin l’un des fondateurs de géant américain, il regroupe l’élite des experts, chercheurs et ingénieurs de la firme de Mountain View qui travaille sur de nombreuses innovations de rupture allant de l’intelligence artificielle à la conquête spatiale en passant par les voitures autonomes ou encore la viande artificielle !
Parmi les projets initiaux les plus connus du grand public figurent notamment les Google Glass. Présentées en grande pompe lors de la conférence Google I/O de 2012, ces lunettes connectées que l’on qualifiait à l’époque de « lunettes informatives électroniques de réalité augmentée sur verres transparents » s’annonçaient prometteuses aux yeux de nombreux analystes et promettaient de changer la vie de tous les jours de ses utilisateurs.
Moins de trois ans plus tard, la commercialisation auprès du grand public était au point mort et le Project Glass subissait une refonte totale sous la houlette de Tony Fadell, un ancien cadre d’Apple et cofondateur de Nest une entreprise spécialisée en domotique.
Trop imposantes, peu pratiques, peu esthétiques, trop compliquées à utiliser, technologiquement immatures mais surtout suscitant l’inquiétude concernant le respect de la vie privée du fait de leur caméra capable de filmer les personnes présentes dans le champ à leur insu, les Google Glass destinées au grand public subissent un coup d’arrêt logique en 2015. Google reste malgré tout pleinement conscient du potentiel de telles lunettes. C’est pourquoi il collabore par la suite avec des entreprises comme Boeing, DHL, Volkswagen, General Electric ou encore le milieu médical pour concevoir des lunettes à usage professionnel mettant l’accent sur l’intelligence artificielle. A mi-chemin entre réalité augmentée et réalité virtuelle , l’utilisateur interagit ici en temps réel avec un espace de travail virtuel qui s’intègre dans son espace réel : c’est ce qu’on appelle la réalité mixte. Fruit de ces collaborations et recherches expérimentales, les Google Glass Entreprise Edition virent le jour en 2017 et laisseront très prochainement leur place à une nouvelle itération présentée en mai dernier.
L’entrée en lice des autres acteurs du GAFA
Malgré les fuites et les rumeurs de plus en plus persistantes, la firme de Cupertino n’a quant à elle pas encore fait d’annonce officielle concernant une hypothétique sortie de ses « Apple Glass ». Fidèle à sa politique, Apple ne communique pas ou très peu sur ses prochains produits. Une chose est certaine : en plus d’une pléthore de brevets déjà déposés, la marque a investi considérablement dans le projet en rachetant une douzaine de startups spécialisées dans le domaine de la réalité augmentée ces quatre dernières années. Si Apple compte devenir un acteur majeur sur ce marché, d’autres géants du numérique ont également récemment affiché leurs ambitions.
En premier lieu Facebook qui a annoncé en septembre dernier son association avec Luxottica pour lancer une paire de lunettes connectées. Ce partenariat avec le leader mondial de la fabrication et distribution de montures de lunettes pose clairement les ambitions de l’entreprise en matière de lunettes connectées. De son côté Amazon a présenté la même semaine ses Echo Frames, des lunettes de vue dotées de microphones et connectées à leur assistant vocal Alexa. Si les technologies utilisées dans les lunettes Amazon sont pour le moment relativement basiques, de nouvelles fonctionnalités plus évoluées viendront assurément s’implémenter au fur et à mesure des itérations. Dans tous les cas, cela acte également l’entrée en lice du géant sur ce marché.
Un mois auparavant, Snapchat présentait au grand public leur nouvelle gamme de lunettes connectées Spectacles troisième du nom. Malgré l’échec commercial de ses deux précédents modèles, Evan Spiegel, le CEO de Snapchat, n’en démord pas et pense qu’une dizaine d’années sera nécessaire pour que cette nouvelle génération de lunettes soit adoptée. La stratégie de Snap Inc., la maison mère du réseau social, mise donc sur le long terme pour « se diriger vers ce futur » selon les mots du dirigeant. Un pari avant-gardiste et risqué mais qui prend pleinement conscience qu’en dehors des aspects purement technologiques, l’adoption d’un tel produit passera nécessairement par la création d’une communauté forte qui doit reposer « sur un écosystème florissant d’expériences dont les utilisateurs pourront tirer profit ».
De Facebook à Apple : pourquoi croient-ils tous aux lunettes intelligentes de demain ?
Après ce tour d’horizon, on peut légitimement se poser la question : pourquoi tous ces acteurs clés du monde numérique s’attachent autant à concevoir des lunettes intelligentes et semblent tous convaincus que l’avenir du numérique passera nécessairement par elles? Des éléments décisifs de réponse peuvent sans doute se trouver du côté d’Apple ou encore du dirigeant de Facebook. Dans un entretien accordé au magazine Le Point en septembre dernier, Mark Zuckerberg constate que « tous les quinze ans apparaît une nouvelle manière d’utiliser l’informatique ». Il y a d’abord eu les ordinateurs personnels puis « les navigateurs avec lesquels on pouvait aller sur internet depuis un ordinateur portable ». Maintenant, on a l’internet mobile. « Et bientôt, ce sera l’ère de la réalité augmentée et de la réalité virtuelle. Et ce qui distingue ces technologies, c’est qu’elles vous permettent d’être présent à un endroit et d’interagir avec votre entourage. Quand vous êtes face à quelqu’un qui a le nez sur son smartphone, vous ne ressentez pas sa présence. Avec la réalité virtuelle et augmentée, vous pouvez interagir avec vos proches ».
On retrouve d’ailleurs chez Apple un discours similaire sur la réalité augmentée. Tim Cook, le PDG de la firme, ayant à plusieurs reprises présenté celle-ci comme une technologie « qui amplifie les performances humaines au lieu d’isoler les humains ». Préférant celle-ci à la réalité virtuelle qui « enferme et immerge en quelque sorte la personne dans une expérience qui peut être vraiment cool mais qui [comparée à la réalité augmentée] n’a probablement pas le même potentiel commercial sur le long terme ». De ces déclarations on peut déduire qu’Apple privilégie clairement le développement des lunettes de réalité augmentée par rapport à un casque de réalité virtuelle même si la firme n’exclut pas le développement d’un tel casque.
Cet intérêt pour la réalité augmentée s’est concrétisé en juin 2017 lors de l’Apple Worldwide Developers Conference (WWDC). C’est au cours de ce salon annuel d’Apple consacrée aux développeurs que la marque a annoncé son ARKit, un outil de développement qui permet de créer des applications en réalité augmentée sur tous les appareils iOS et qui se destine à concurrencer ARCore (anciennement Tango), la plateforme de Google. Lors de la conférence de juin dernier, Apple a présenté la troisième version de son ARKit et semble avoir franchi un véritable cap technique en ajoutant à son outil de nombreuses fonctionnalités avancées rendant la réalité augmentée encore plus réaliste et interactive. Avec de telles avancées, l’ambition de la marque à la pomme de devenir la principale plateforme de réalité augmentée se confirme et nul doute qu’elles permettent à Apple de paver un peu plus la voie pour ses futures lunettes…
Du côté de Facebook, deux projets en cours se destinent à concevoir ces lunettes de demain. L’un sous le nom de projet Stella concerne directement la récente association de la firme avec Luxottica et reposera sur une interactivité entre les lunettes et le smartphone. L’ambition de cette association est de travailler sur des lunettes connectées équipées de microphones et d’une ou plusieurs caméras qui seraient pilotées par un assistant vocal et une application dédiés. Autre objectif sous-jacent de ce projet : tester l’accueil du grand public à l’idée de porter des lunettes de marque Facebook.
Le second projet, nommé en interne Orion, s’inscrit davantage dans le long terme en s’attachant clairement à penser les lunettes intelligentes comme la prochaine étape après nos smartphones. Implantées à Redmond dans l’Etat de Washington, les équipes travaillant sur ce projet sont le fruit d’une restructuration de centaines d’employés des Facebook Reality Labs qui se concentrent désormais à imaginer et concevoir les produits de réalité augmentée de demain. Tout comme pour Apple, les lunettes apparaissent pour le moment comme étant la prochaine interface matérielle la plus en adéquation avec tous ces développements.
Vers la prochaine grande révolution numérique ?
Alors les lunettes intelligentes sont-elles appelées à être l’un des prochains tournants technologiques majeurs du 21ème siècle ? Vont-elles un jour remplacer nos smartphones et autres objets connectés ou seront-elles la pièce maîtresse de notre arsenal technologique de tous les jours ? S’il est bien entendu impossible de répondre à ces questions de manière définitive, l’investissement massif et généralisé du monde numérique dans le secteur de la lunetterie intelligente peut nous le laisser penser. Dans tous les cas, cet engouement répond à une logique qui prédit l’obsolescence du smartphone au cours des prochaines années et chaque acteur souhaite légitimement faire un pari raisonné sur l’avenir.
Souvenez-vous du nombre d’appareils devenus en partie ou totalement inutiles grâce (ou à cause) des smartphones… Il aurait été pourtant très aventureux il y a encore cela moins de 15 ans de prédire une telle hégémonie! Une nouvelle technologie viendra nécessairement un jour prendre le relais. Certains analystes prédisent ce virage pour 2027, d’autres pour avant, d’autres pour plus tard mais tous ont conscience que la prédominance du téléphone est appelée à disparaître ! Au profit d’une nouvelle génération de lunettes ? Parce qu’un tel produit ouvrirait un nouveau champ des possibles en terme d’utilisation et parce qu’il serait le plus à même de remplir leurs ambitions technologiques et économiques, Apple, Facebook, Google et bien d’autres semblent déjà en être convaincus.
Dossier réalisé en partenariat avec Jaw Studio et Joël de Rosnay, conseiller du Président d’Universscience.
Écrit par Thomas Bernard
Avec la participation de Sebastien Brusset (Jaw Studio) et Joël de Rosnay