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Rencontre avec Michel Dalloni, journaliste et auteur du livre Lunettes Noires

Michel Dalloni, journaliste français qui écrit pour le Monde, GQ ou encore la revue Schnock, consacre un livre entier, Lunettes Noires, aux solaires, publié aux éditions La Tengo. Il nous en dit plus sur ses marques et créateurs fétiches, le pouvoir symbolique de la lunette de soleil et les petites histoires qu’il a récoltées au bout de deux ans de recherche et d’écriture.

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© Lunettes Noires / Michel Dalloni

Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire un livre sur les lunettes de soleil ?

“En fait, il existe déjà beaucoup de livres sur les lunettes en général, mais pas sur les lunettes de soleil. Les solaires occupent souvent un chapitre de l’ouvrage. En tant que journaliste, je voue une passion pour les objets du quotidien dont l’usage fait oublier l’histoire. Or, cet accessoire possède une histoire passionnante, que ce soit à travers ses personnages (créateurs, collectionneurs, personnes qui les portent) ou ses différents usages selon le domaine. Et puis, j’ai 62 ans. J’ai grandi avec les images de lunettes dans la culture, que ce soit au cinéma ou dans la musique et le sport. J’ai en tête des pilotes automobiles et des acteurs portant de beaux modèles de lunettes.”

Avez-vous une marque fétiche ?

“Je dirai Persol, pour Steve McQueen et de Marcello Mastroianni dans Divorce à l’Italienne et la sensualité de l’acétate. Mais aussi Ray Ban, qui possède la même aura qu’une marque comme Coco : elle est plus grande que sa dimension commerciale. J’ai une paire d’Aviator de Ray Ban que ma tante américaine m’avait offert quand j’avais 15 ans et que j’ai toujours. Acheter une paire vintage des années 60 ou 70 reste une valeur sûre. Contrairement à un vêtement de cette époque qui sera sans doute usé aujourd’hui, la lunette de ces marques-là, par sa qualité, reste intacte et son verre protège toujours des rayons du soleil.”

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© Alain Mikli

Et pour les créateurs ?

“J’ai beaucoup d’admiration pour Victor Bitchatchi derrière la marque Vito Paris, un opticien oublié des années 60 qui était fantastique et avant-gardiste. Dans le livre, j’interroge le génial Alain Mikli, qui a été son fils spirituel. Lui aussi faisait preuve de beaucoup d’audace dans les formes et les couleurs de ses lunettes.”

Quelles sont les histoires qui vous ont marquées en écrivant ce livre ?

“Il y en a deux. La première, c’est quand Bashung est apparu sur scène, aux Victoires de la Musique, peu avant sa mort. Il est malade, rongé par le cancer mais la voix n’a pas bougé. Très élégant, il est vêtu de noir et porte un chapeau ainsi que des lunettes Persol. Ainsi, ne percevant pas son regard, on ne s’apitoie pas sur son sort. On le regarde en face, mais pas dans les yeux. C’est une scène émouvante car sa silhouette, presque un trait de fusain, imprime la rétine et reste dans nos mémoires, comme un fantôme qui reste classe jusqu’au bout.”

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© Lolita / Stanley Kubrick (1962)

A un moment donné, dans le livre, le journaliste Marc Beaugé dit : « les solaires, c’est comme la barbe. C’est la revanche des moches. Ça va à tout le monde. » : son pouvoir de séduction c’est la raison de leur succès (l’industrie des solaires atteint plus de 20 milliards de dollars de chiffre d’affaires annuel), en plus du fait qu’elles nous protègent des effets néfastes des rayons du soleil ?

“Oui, la formule de Marc est assez forte. En fait, c’est un peu comme la barbe (rires). Mettre des lunettes, c’est se déguiser. On devient un autre. Et il se peut qu’on ne nous reconnaisse plus dans la rue. Si Naomi Campbell ou Tom Cruise portent des lunettes, ils deviennent des sex symboles. Si un pilote de chasse les arbore, c’est un héros. Et si un flic les revêt, il incarne l’ordre, voire une certaine forme de brutalité. C’est la magie de la lunette. En  une seconde, on projette quelque chose qui va faire naître divers sentiments chez celui qui regarde. Ça peut être un atout de séduction, avec une dimension érotique forte (les ôter, c’est se déshabiller) ou un élément suscitant la peur comme chez Kadhafi ou Hitler. Selon l’intention, on peut soit intriguer ou effrayer. Son statut est ambivalent et diffère selon ce que veut montrer ou cacher celui qui les porte. C’est Eros et Thanatos. Ça en dit beaucoup sur la nature humaine. Pourquoi s’isole-t-on de la lumière ? Pourquoi ne veut-on pas qu’on regarde les yeux de l’âme ? On se déguise en restant soi, on voit sans être vu, on devient élégant à peu de frais, inaccessible avec un accessoire accessible. Car porter des lunettes Dior reste tout même moins onéreux qu’enfiler une robe ou un costume Dior.”

Michel Dalloni – Lunettes noires (éditions La Tengo)

Écrit par Violaine Schutz