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Les lunettes du futur (part 2) : A quoi pourraient elle ressembler ?

Si les premières lunettes intelligentes destinées au grand public n’ont pas connu le succès escompté, les principaux acteurs du monde numérique préparent depuis quelques années leur grand retour. Dans cette seconde partie de notre dossier consacré aux lunettes intelligentes du futur, nous avons tenté d’imaginer à quoi pourraient ressembler ces prochains dispositifs technologiques qui seront nécessairement interactifs, proactifs et en temps réel.

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© Google

Des lunettes dotées d’une intelligence artificielle conçue pour simplifier la vie quotidienne

A la manière des assistants vocaux actuels (Siri et Ok Google en tête), les lunettes du futur seront des dispositifs à qui l’on pourra évidemment poser des questions ou donner des instructions mais contrairement à ce que l’on connaît déjà elles anticiperont également nos besoins de façon pertinente et s’adapteront grâce à l’intelligence artificielle (IA). Ensemble de technologies capable de traiter les informations afin d’imiter une forme d’intelligence humaine réelle, l’intelligence artificielle fonctionnera par le biais de trois manières déjà présentes dans les smartphones.

D’abord par le processeur (Central Processing Unit ou CPU en anglais) qui va utiliser sa puissance de calcul, plus ou moins grande selon le modèle, pour effectuer le traitement IA. Ensuite par le Cloud, comme pour le cas de nos assistants, où c’est la puissance de calcul des serveurs qui est utilisée. Enfin par le cœur NPU (Neural Processing Unit) qui équipe certains processeurs récents, que ce soient l’A13 Bionic d’Apple, l’Exynos 9820 de Samsung, le Kirin 810 de Huawei ou encore les NNP d’Intel. Environ 25 fois plus performant qu’un processeur sans NPU, ce cœur est entièrement dédié à l’intelligence artificielle, est capable d’apprendre, de reconnaître et de prendre des décisions. C’est grâce à lui par exemple que certains appareils photos sont capables de proposer des réglages spécifiques en fonction d’une situation particulière ou à l’instar de Google Lens de reconnaître la race de chien que l’on prend en photo !

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© Google

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© Techjuice

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© Google

Si le terme d’intelligence est le plus souvent utilisé pêle-mêle par les fabricants, il existe pourtant deux types d’intelligence artificielle bien distincts. La première est dite « faible » ou « descendante » et reproduit un comportement spécifique sans en comprendre réellement son fonctionnement et sa logique. Autrement dit, elle vise à imiter le plus fidèlement un comportement précis prévu à l’avance mais n’est pas capable d’improviser. Ces systèmes, spécialisés et limités à des tâches et des domaines précis, se retrouvent depuis longtemps dans les moteurs de recherche, les systèmes de navigation, les recommandations personnalisées de certains sites ou applications, les jeux vidéo, les différents services de traduction ou encore les assistants actuels de nos smartphones ou autres objets connectés.

La différence majeure qui distingueront les lunettes du futur réside dans le fait qu’elles intégreront une forme d’intelligence artificielle bien plus sophistiquée. Non seulement celle-ci sera capable de reproduire un comportement précis mais elle pourra également prévoir, juger, apprendre à partir de ce que l’utilisateur voit, lit, écrit, écoute pour ensuite être capable de s’adapter ou d’anticiper. Associées à des données toujours plus nombreuses, à des technologies dédiées à l’intelligence artificielle encore plus performantes, à des algorithmes de plus en plus avancés, les assistants qui équiperont nos lunettes de demain connaîtront sans doute sur le bout des doigts les habitudes de leur propriétaire et seront à même d’identifier et anticiper ses besoins à sa demande pour se rendre vite indispensables.

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© Shutterstock

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© Microsoft

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© Martin Hajek, Apple

Des lunettes au cœur de l’Internet des Objets

Pour être intelligentes, les lunettes du futur seront nécessairement au cœur d’un écosystème connecté*, de ce qu’on appelle l’Internet des Objets (IdO ou IoT en anglais pour Internet of Things). Pour le dire simplement, l’IdO désigne l’infrastructure mondiale qui permet à des milliards d’objets de s’interconnecter et d’interagir entre eux. Il regroupe donc tous les objets connectés et les réseaux qui permettent à l’ensemble de communiquer entre eux. Si les experts de l’IoT estiment à 75 milliards le nombre d’objets connectés sur le marché d’ici 2025, ces mêmes experts estiment qu’à peine 1% de son potentiel est exploité à l’heure actuelle.

Étroitement lié au réseau qui permet la communication des objets connectés, le développement d’un IdO se verra grandement facilité par l’apparition de la 5G et l’amélioration des normes existantes (Bluetooth Wifi notamment) mais aussi par l’expansion grandissante des réseaux longue portée très basse consommation et bas débit. Appelés à être intégrés dans un nombre exponentiel d’équipements de notre quotidien, on retrouve déjà ces réseaux dans les compteurs électriques Linky ou encore les véhicules en libre-service par exemple.

Si l’IdO est un concept central de l’écosystème numérique du futur c’est avant tout parce que c’est lui qui permet la collecte et le partage d’une quantité vertigineuse de données en temps réel. Associées ou non au cloud computing, toutes ces données numériques alimentent en permanence les serveurs, les supercalculateurs et les processeurs dédiés qui les analysent et les enrichissent. Parce qu’elles permettront de regrouper l’ensemble des informations et données transmises puis analysées par tous les autres objets connectés, les lunettes du futur se retrouveront au cœur de notre arsenal numérique et se verront donc totalement interdépendantes avec l’Internet des Objets.

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Des lunettes de réalité mixte : une version interactive de la réalité augmentée.

La réalité augmentée consiste à superposer des objets visuels générés par un système informatique en temps réel à un environnement réel. Cette technologie permet donc de visualiser des éléments virtuels dans le monde réel. La réalité mixte est en quelque sorte une version améliorée de la réalité augmentée car elle permet d’interagir avec ces éléments virtuels. Ce qu’on appelle souvent réalité augmentée relève parfois donc plus de la réalité mixte. Dans le domaine de la lunetterie, l’affichage des éléments virtuels sur les verres est à l’heure actuelle assurée grâce à ce qu’on appelle l’affichage tête haute. On a déjà parlé ici des lunettes de réalité augmentée pour les nageurs, on peut également évoqué la marque française Julbo qui s’apprête à commercialiser des lunettes de réalité augmentée pour les sportifs qui se basent également sur ce type d’affichage.

Si les filtres Snapchat, Facebook ou Instagram sont sans doute les exemples « basiques » les plus connus du grand public d’une technologie basée sur la réalité augmentée, son usage reste à l’heure actuelle essentiellement ludique. On peut aussi à ce propos évoquer le succès phénoménal (on comptabilise à ce jour plus d’un milliard de téléchargements toutes plateformes confondues !) du jeu Pokemon Go lancé en 2016 qui a mis un coup de projecteur inédit sur la réalité mixte en superposant des éléments virtuels à un environnement réel, géolocalisé et interactif. Niantic, la société à l’origine du jeu, a d’ailleurs annoncé son partenariat avec le géant américain des puces électroniques Qualcomm pour concevoir leurs propres lunettes de réalité mixte.

Si aux yeux du grand public, la réalité mixte ou augmentée sont associées à la sphère du divertissement, cette technologie a d’abord été conçue et s’oriente en priorité au domaine professionnel et éducatif. Délaissant depuis quelques années le marché des particuliers, Google et Microsoft ont d’ailleurs su se perfectionner et innover au point de trouver une seconde vie auprès des professionnels avec leur Google Glass Entreprise Edition et Microsoft HoloLens. A la pointe dans ce domaine, Microsoft propose ainsi des technologies innovantes pour des solutions de maintenance matérielle ou pour l’étude en toute sécurité du fonctionnement d’un objet, d’une machine ou encore d’un environnement. De nombreux architectes, ingénieurs et concepteurs utilisent désormais leurs dispositifs pour travailler sur une représentation en réalité mixte en 3D de leur futur produit afin d’en améliorer l’aspect, l’agencement, la conception ou encore la praticité. Nul doute que tout ce savoir-faire accumulé et ces avancées logicielles et matérielles acquises dans le monde professionnel trouveront d’une manière ou d’une autre également leur place dans les lunettes intelligentes grand public de demain.

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© BuzzFeed

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© Google

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© Kotaku

On retrouve d’ailleurs déjà quelques exemples concrets d’applications mobiles largement inspirées de ce que proposent déjà Microsoft ou Google pour le monde professionnel. A l’instar d’Ikea Place ou Amazon qui permettent de placer virtuellement des articles dans son propre espace pour les agencer au mieux dans son appartement ou sa maison, les applications de visite virtuelle se sont récemment multipliées particulièrement dans le domaine de l’immobilier, des sites culturels ou de la navigation. On peut d’ailleurs citer la nouvelle fonction Live View implémentée dans Google Maps qui donne un aperçu très concret de l’affichage tel qu’il pourrait apparaître dans un certain nombre d’applications destinées aux futures lunettes intelligentes.

Equipées de capteurs de profondeur permettant de restituer l’environnement en 3D et d’écrans stéréoscopiques créant l’illusion de la perspective, ces lunettes seront dotées de détecteurs de mouvements qui leur permettront de lire avec précision chaque déplacement de nos mains et nos doigts. En plus de microphones, elles seront également équipées d’un système de suivi oculaire qui analysera les mouvements de nos yeux (sens, ordre, vitesse, durée de fixation…). Ainsi, l’utilisateur pourra interagir très précisément en temps réel avec un espace virtuel qui s’intègrera au mieux et en permanence à son environnement réel simplement grâce aux mouvements de ses mains, de ses yeux ou à sa voix selon sa préférence.

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© Bosch

Des lunettes à vision adaptative et augmentée

Non seulement les lunettes du futur s’ajusteront à la luminosité ambiante mais elles seront également capables d’améliorer la perception de n’importe quelle zone visible ou même d’afficher, à la demande, l’affichage des angles non couverts par notre champ de vision naturel, grâce à des caméras intégrées à l’arrière ou à l’extérieur des branches.

Équipées de capteurs de luminosité, la teinte des verres s’ajustera automatiquement en fonction du rayonnement UV présent dans la lumière du soleil. Plus la quantité de lumière sera importante, plus les verres s’assombriront. A l’inverse, on peut imaginer une situation où le porteur est plongé dans le noir complet et les lunettes lui permettraient de voir comme en plein jour par biais d’un mode de vision nocturne qui fonctionnerait grâce à l’intelligence artificielle.

Dès que des conditions lumineuses normales réapparaîtront, les verres redeviendront transparents à la façon des verres photochromiques dotés d’une couche photosensible mais contrairement à ces derniers qui mettent quelques secondes pour réagir au changement d’environnement lumineux, tout cela s’opérera de façon instantanée !

A la demande et en temps réel, ces lunettes pourront élargir une zone visuelle jusqu’à 360 degrés ou zoomer sur une zone spécifique, l’isoler, la rendre plus nette, éventuellement la retoucher pour pouvoir la partager ou l’envoyer à un ou des contact(s) de notre choix. L’intelligence artificielle associée à la géolocalisation pourra bien entendu fournir également des informations, des suggestions pertinentes en lien avec l’endroit sélectionné et le profil de l’utilisateur, sous forme de texte ou d’éléments virtuels.

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© Microsoft

Un dispositif technologique confortable et discret

En dehors des nombreux problèmes ergonomiques, technologiques ou encore psychologiques, les échecs rencontrés par la commercialisation des premières lunettes connectées étaient également liés à l’apparence de celles-ci. Cas symptomatique, les Google Glass étaient composées d’un immense arceau en titane surmontant un imposant module en plastique allant jusqu’au-dessus de l’œil droit, laissant apparaître la caméra et l’affichage du mini projecteur. Ce choix de conception rendait l’ensemble très peu esthétique, déséquilibré et donnait à l’utilisateur un air de cyborg, rendant les gens croisant ces lunettes curieux, sceptiques, moqueurs voire méfiants. Le design peu harmonieux et le poids, plus proche d’un casque de réalité virtuelle que de véritables lunettes portables au quotidien, pêchaient aussi par une répartition du poids déséquilibré rendant rapidement le port de ces lunettes inconfortable.

De cet échec, on peut donc conclure que les lunettes du futur devront nécessairement être plus légères, confortables et discrètes que ses prédécesseuses si elles veulent convaincre le grand public. Discrètes, elles le seront également grâce à l’emploi de la conduction osseuse dont on a déjà parlé ici et qui consiste à transmettre le son par le biais de vibrations à l’intérieur de l’oreille. Intégré aux branches des lunettes, ce dispositif est donc invisible une fois la monture portée, débarrasse son utilisateur des solutions auditives classiques peu discrètes (écouteurs, hauts parleurs) et ne coupe pas de l’environnement sonore extérieur.

Légères et confortables, ces lunettes ne le seront qu’au prix d’une miniaturisation des composants qui tirera profits des innovations technologiques et des découvertes liées en particulier au biomimétisme. Développée depuis les années 1990 et déjà à l’origine d’un nombre important d’innovations, le biomimétisme est une méthode consistant à s’inspirer ou imiter des systèmes, des formes, des matières ou des propriétés issus de la nature et de l’étude du vivant. Des batteries plus petites, fiables et endurantes grâce aux algues ou au graphène déjà présent dans la nature, aux appareils photos microscopiques inspirées du fovéa de l’œil de l’aigle, en passant par des caméras plus performantes grâce à l’observation des ocelles des abeilles, certaines recherches issues de la biomimétique trouveront sans doute, à terme, leur place dans les lunettes de demain.

Concernant les matériaux des lunettes actuels, Joël de Rosnay les estime « complètement dépassés par rapport aux matériaux du futur notamment ce qu’on appelle les biomatériaux. Aujourd’hui les lunettes sont composées de verre et de plastique. Avec les biomatériaux on se dirige vers des matières qui ressemblent à des matières vivantes à partir de protéines, de lipides, de collagène ou encore de sucre. Ces matières biologiques seront modifiables à la demande et cela va tout changer ». S’il est difficile de dire quand ces biomatériaux remplaceront les matériaux actuels, une chose est certaine : les lunettes du futur devront nécessairement trouver le bon compromis entre la myriade de technologies et de composants embarqués, l’esthétique générale et le confort pour espérer convaincre le grand public.

Dossier réalisé en partenariat avec Jaw Studio et Joël de Rosnay,  conseiller du Président d’Universcience.

 

Les lunettes du Futur

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Biographie de Joël de Rosnay

Joël de Rosnay est biologiste, prospectiviste et écrivain. Docteur ès Sciences, Conseiller du Président d‘Universcience (Cité des Sciences et de l’Industrie de la Villette et Palais de la Découverte) et Président de Biotics International.

C’est un ancien chercheur et enseignant au Massachusetts Institute of Technology (MIT) dans le domaine de la biologie et de l’informatique, il a été successivement attaché scientifique auprès de l’Ambassade de France aux Etats-Unis, Directeur Scientifique à la Société Européenne pour le développement des entreprises (société de « Venture capital ») et Directeur des Applications de la Recherche à l’Institut Pasteur.

Écrivain, Joël de Rosnay est l’auteur de plusieurs ouvrages scientifiques destinés à un grand public, dont « Le Macroscope » 1975 ; « L’homme symbiotique, regard sur le troisième millénaire », Seuil, 1995, « La révolte du pronétariat », Fayard, 2002, « 2020 les scénarios du futur », Fayard, 2008, « Et l’Homme créa la vie : la folle aventure des architectes et des bricoleurs du vivant », avec Fabrice Papillon, Éditions LLL, 2010. « Surfer la Vie », éditions LLL, 2012. « Je cherche à comprendre…les codes cachés de la nature » chez LLL, 2016. Son dernier livre “La symphonie du vivant : comment l’épigénétique va changer votre vie” est paru chez (LLL) 2018.

Écrit par Thomas Bernard

avec la participation de Sébastien Brusset (Jaw Studio) et Jöel de Rosnay