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L’EC Eye, l’œil bionique : vers une vision plus vraie que nature ?

Concevoir un œil entièrement artificiel, reprenant la structure et les caractéristiques de nos yeux et capable même, dans l’avenir, de surpasser la vision humaine : c’est ce projet digne d’un film de science-fiction sur lequel travaille une équipe de chercheurs hongkongais qui ont publié leurs avancées prometteuses dans la revue Nature. Baptisé l’EC-Eye, ce dispositif bionique totalement inédit pourrait, à terme, redonner espoir aux personnes mal et non-voyantes.

De la rétine artificielle à l’œil 100% bionique

Pour la première fois depuis sa création en 1948, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a publié son rapport mondial de la vision en octobre 2019. Selon les chiffres, 2,2 milliards de personnes présenteraient une déficience visuelle ou une cécité. Parmi elles, 217 millions souffrent d’une déficience visuelle modérée à sévère (c’est-à-dire avec une acuité visuelle inférieure à 3/10ème sur le meilleur œil) et 36 millions sont aveugles (soit une acuité inférieure à 1/20ème pour le meilleur œil). Sur ces 253 millions de personnes, plus de 80% sont âgées de plus de 50 ans.

Ces dernières années, de nombreuses recherches se sont concentrées sur des dispositifs capables de recouvrer ou restaurer la vue de ces personnes, en particulier celles touchées par la Dégénérescence Maculaire liée à l’Âge (DMLA), qui représente la première cause de déficience visuelle dans les pays industrialisés et dont 30% de la population est atteinte passée 75 ans. Des équipes de scientifiques ont ainsi développé des rétines artificielles essayant de se substituer aux photorécepteurs de la rétine humaine détruits par la maladie.

Parmi les principaux acteurs du développement de ces dispositifs, on peut notamment citer l’Argus II des américains de Second Sight, la Retina Implant des allemands d’AG (qui ont malheureusement mis fin à l’aventure en 2019) ou encore l’IRIS II des français de Pixium Vision, qui ont tous les 3 obtenu le marquage CE des autorités européennes. Placé à la surface ou sous la rétine, ces dispositifs sont constitués d’implants composés d’électrodes servant à stimuler les neurones rétiniens chargés d’acheminer les messages au cerveau. Concrètement, l’implant artificiel stimule la rétine endommagée permettant au patient de percevoir des signaux lumineux, des formes et des mouvements qu’il ne percevait pas ou plus avant l’intervention chirurgicale.

Si tous ces implants représentent une percée majeure dans le domaine de la recherche, ils sont loin encore d’apporter une vision satisfaisante pour ceux qui en bénéficient. Ils permettent cependant à certains patients de se déplacer seuls sur des distances courtes, de repérer une porte, une fenêtre dans une pièce, un passage piéton ou encore des lignes au sol. Dans le meilleur des cas, au terme d’une rééducation et d’un apprentissage quotidiens, quelques implantés parviennent à lire sur un écran d’ordinateur des phrases courtes composés de gros caractères blanc sur fond noir.

L’EC-Eye : un œil électrochimique et biomimétique

L’EC-Eye marque une véritable rupture par rapport aux dispositifs existants car il ne s’agit plus de greffer un implant à l’œil déficient ou au cerveau mais de reconstituer dans son intégralité notre œil. On parle donc ici d’un œil entièrement bionique ! A l’origine du projet, on retrouve le professeur Fan Zhiyong, enseignant chercheur en génie électronique et informatique à la Hong Kong University of Science and Technology (HKUST) et il n’est pas surprenant d’apprendre en lisant ses interviews qu’il est aussi amateur de science-fiction. Pilotés par l’équipe du professeur Fan et en collaboration avec l’Université de Berkeley, les recherches concernant cet œil bionique ont été synthétisées dans un article publié dans la revue scientifique Nature en mai 2020.

 

 

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Baptisé EC-Eye (pour ElectroChemical Eye autrement dit « œil électrochimique »), ce dispositif est biomimétique dans le sens où il s’inspire de la structure, des fonctions et des caractéristiques de l’optique humaine. D’une taille comparable à notre œil (un peu plus de deux centimètres), l’EC-Eye reproduit la forme et le fonctionnement de notre organe sensoriel. Sa rétine hémisphérique, intégrant des nano-capteurs qui imitent nos cellules photoréceptrices, tapisse un support en polymère de silicone. Toujours pour imiter la structure de notre globe oculaire, on retrouve à l’avant une demi-sphère constituée d’aluminium et de tungstène. À l’extrémité du dispositif, on retrouve une lentille et un iris artificiel. La cavité de l’ensemble est remplie de liquide ionique qui s’inspire du corps vitré, cette masse gélatineuse qui remplit l’espace situé entre le cristallin et la membrane de la rétine de l’œil humain. En guise de nerf optique, des nanocâbles flexibles en métal liquide gainés de caoutchouc souple se chargent de transmettre les signaux à un système informatique.

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© ust hk

Un dispositif qui pourrait surpasser la vision humaine

En plus d’être totalement inédit dans sa conception, le prototype regorge d’innovations qui pourraient rendre le système visuel de cet œil artificiel réellement performant à terme. Tout d’abord, la lentille laissant passer la lumière et l’iris qui s’adapte à celle-ci en se rétractant ou se contractant, réagissent déjà plus vite aux changements lumineux qu’un œil humain ! Tandis que nous mettons normalement entre 40 et 150 millisecondes à réagir aux variations de luminosité, l’EC-Eye ne met que 30 à 40 millisecondes.

Alors que les cellules photoréceptrices de notre rétine sont composées de ce qu’on appelle les cônes et bâtonnets, les chercheurs hongkongais les ont remplacés par des nanofils de pérovskite. Longtemps objet d’étude du professeur Fan, ce minéral abonde dans la nature, est facile à reproduire en laboratoire et présente notamment des propriétés photosensibles remarquables qui égalent, à minima, la sensibilité de son homologue biologique. Le point sur lequel l’organe bionique impressionne particulièrement est son nombre de photorécepteurs. Alors que notre rétine en compte environ 10 millions, le prototype artificiel peut en intégrer 460 millions. L’EC-Eye est ainsi capable de recevoir plus de signaux lumineux et donc d’afficher théoriquement les images avec une meilleure résolution.

Les prochains défis pour rendre l’EC-Eye réellement opérationnel et performant

A l’heure actuelle, le prototype est doté d’une résolution de 100 pixels qui permet tout juste de distinguer certaines lettres simples sur un fond noir. On est donc encore loin de la résolution d’un œil humain parfaitement sain qu’on estime à environ 7 millions de pixels. Le champ de vision autorisé par le prototype est également plus réduit que celui offert par nos yeux : 100 degrés contre 160. Un autre défi sera de réduire encore la taille des photorécepteurs et l’encombrement des câbles chargés de transmettre les données pour permettre la connexion de ce « nerf optique » artificiel avec le cerveau.

Electrochemical Eye

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Si le dispositif cumule les innovations et représente une avancée majeure incontestable, « en ce qui concerne la résolution de l’image, les angles de vue et la facilité d’usage, les yeux bioniques sont aujourd’hui bien en dessous de l’œil humain. De nouvelles technologies sont nécessaires pour résoudre ces problèmes et c’est cela qui m’a donné la motivation de me lancer dans ce projet peu conventionnel » admet volontiers le professeur Fan. Malgré tous ces défis, les chercheurs sont optimistes et pensent rendre possible une large utilisation des yeux artificiels au cours de la prochaine décennie, aussi bien dans le domaine de la robotique que de la médecine.

Écrit par Thomas Bernard